Dans un arrêt du 10 juin 2021 n° 84/2021, la Cour constitutionnelle a statué sur les recours en annulation introduits contre les dispositions de la loi du du 14 octobre 2018 qui augmentent les droits de mise au rôle devant les juridictions de l'ordre judiciaire.
Les faits
Depuis 2008, le coût d'une procédure en justice n'a cessé de croître : instauration de l'indemnité de procédure à charge de la partie qui succombe en 2008, instauration de la TVA sur les prestations d'huissiers puis les prestations d'avocats, instauration d'une contribution forfaitaire de 20 euros au profit du Fonds pour l'Aide juridique...
La dernière augmentation en date concerne les droits de greffe : les dispositions attaquées augmentent les droits de mise au rôle dans les procédures devant toutes les juridictions judiciaires, respectivement de 30, 31 ou 40 euros à 50 euros (une augmentation de 25 à 66,6 %) pour les justices de paix et les tribunaux de police, de 30, 60 ou 100 euros à 165 euros (une augmentation de 65 à 450 %) pour les tribunaux de première instance et les tribunaux de l’entreprise, de 210 euros à 400 euros (une augmentation de 90,5 %) pour les cours d’appel et de 375 euros à 650 euros (une augmentation de 73,3 %) pour la Cour de cassation.
L'arrêt de la Cour constitutionnelle
Dans son arrêt n° 84/2021, la Cour constitutionnelle constate que les dispositions attaquées "ont [...] manifestement pour effet d’accroître significativement le coût d’une procédure judiciaire" (B.9.).
La Cour indique ensuite que "Le coût de la procédure résultant de l’entrée en vigueur des dispositions attaquées n’est pas nécessairement, en lui-même, une cause d’atteinte au droit à un recours effectif. Il a néanmoins pour effet d’alourdir la charge financière liée à l’exercice de ce droit, laquelle diffère selon le niveau des moyens d’existence des justiciables. Le législateur doit en tenir compte lorsqu’il prend des mesures susceptibles d’alourdir le coût des procédures juridictionnelles. Il doit, en effet, veiller à ne pas limiter le droit d’accès aux juridictions pour certains justiciables d’une manière telle que ce droit s’en trouverait atteint dans sa substance. Il doit également prendre en compte l’inégalité relative des armes qui résulterait d’une restriction accrue du droit d’accès au juge pour certaines catégories de personnes, pour adapter le cas échéant les règles relatives à l’aide juridictionnelle, compte tenu des coûts réels de la procédure" (B.10) (nous soulignons).
Suivant les recommandations de la Section de Législation du Conseil d'Etat, la Cour examine ensuite la charge financière totale liée au fait d’engager une procédure judiciaire, disant pour droit :
"B.12.1. Il ressort des diverses simulations chiffrées effectuées par les parties requérantes, ainsi que par le Conseil d’État, avant l’entrée en vigueur de la loi du 31 juillet 2020, quant à l’effet des dispositions attaquées sur la situation concrète d’un ménage dont les moyens d’existence se situent juste au-delà du plafond fixé pour bénéficier de la gratuité totale ou partielle de l’aide juridique de deuxième ligne et de l’assistance judiciaire, que la part du revenu mensuel nécessaire pour intenter une procédure judiciaire peut désormais atteindre 20 %, hors frais d’avocats (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2569/001, p. 9). Si l’on ajoute ces derniers, estimés à une moyenne horaire de 100 euros hors TVA, il en résulte qu’un justiciable dont les moyens d’existence se situent juste au-delà du plafond fixé pour bénéficier de la gratuité totale ou partielle de l’aide juridique de deuxième ligne et de l’assistance judiciaire pourrait être amené à provisionner, en incluant la possibilité d’un appel, plus de 220 % du revenu mensuel de son ménage avant impôt. Le nombre de justiciables ainsi visés n’est pas négligeable vu le revenu médian mensuel estimé à un peu moins de 2 000 euros.
B.12.2. Il en résulte que le coût de l’exercice du droit à l’accès au juge, alourdi par les dispositions attaquées, peut représenter une charge considérable pour la catégorie de justiciables visée par le moyen et constituer une charge excessive pour ceux-ci, quelle que soit par ailleurs l’étape de la procédure à laquelle ces coûts sont dus." (nous soulignons)
La Cour constate dès lors la disproportion de l'augmentation du coût d'une procédure judiciaire à la suite de l'augmentation des droits de greffe, pour la catégorie de justiciable se situant juste au-delà des plafonds de revenus permettant d'accéder à l'aide juridique de deuxième ligne.
Elle relève cependant que depuis le 1er septembre 2020, ces plafonds ont été rehaussés, de manière telle que la catégorie de justiciable identifiée bénéficie désormais par l'aide juridique de deuxième ligne et ne subit donc plus l'augmentation du coût de la justice ici dénoncée.
C'est la raison pour laquelle les dispositions attaquées sont annulées, mais uniquement "en ce qu’ils s’appliquent aux justiciables dont la cause a été inscrite au rôle entre le 1er février 2019 et le 31 août 2020, qui ont fait l’objet d’une condamnation au paiement des droits de mise au rôle au plus tard le 31 août 2020, et dont les moyens d’existence se situent en dessous des plafonds pour bénéficier de l’aide juridique de deuxième ligne et de l’assistance judiciaire fixés en vertu des articles 3 et 4 de la loi du 31 juillet 2020 « modifiant le code judiciaire afin d’améliorer l’accès à l’aide juridique de deuxième ligne et à l’assistance judiciaire par l’augmentation des plafonds de revenus applicables en la matière » mais au-dessus des plafonds qui prévalaient avant l’entrée en vigueur de ces dispositions".
Qu'en retenir ?
Cet arrêt est le premier du genre où la Cour censure une loi qui augmente le coût de la justice en estimant qu'il s'agit d'une charge excessive pour une catégorie de justiciable au regard du droit à l'accès à un juge.
La Cour consolide, par ailleurs, l'avancée que constitue l'accroissement des plafonds d'accès à l'aide juridique de deuxième ligne, palliatif nécessaire à l'augmentation du coût de la justice, sans quoi la loi aurait pu être annulée sans la limite visée dans le dispositif de l'arrêt.
Pour lire l'arrêt, c'est par ici :
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